Ce monde moderne et contemporain s’effondre. Au fond, il y a des dizaines d’années qu’on le prévoyait, qu’on le craignait, voire qu’on l’espérait. L’étonnant est peut-être qu’il ait duré si longtemps. On assiste donc aux derniers soubresauts de la bête agonisante.
Tiens, pour commencer, un exemple de bestiaire. On parle actuellement d’un projet visant à construire des icebergs sur lesquels seraient édifiés des igloos artificiellement chauffés pour les pingouins, mais dont la partie immergée serait artificiellement refroidie (« pour lutter contre le réchauffement climatique »). Entendons-nous bien, j’adore les animaux en général (ils consolent de l’humain, trop humain) et les pingouins, en particulier, me sont sympathiques. Aucune volonté de ma part, on le voit, de me moquer des pingouins.
En revanche, tout esprit même vaguement lucide ne peut qu’arriver à une seule conclusion: l’exemple des igloos mi-chauds mi-froids montre que nous vivons, ou que nous survivons dans un monde malade. A l’agonie.
Tout en souhaitant longue vie et belle mort aux pingouins, un monde d’icebergs artificiellement refroidis (en surface) et artificiellement réchauffés (sous les eaux) ne serait plus un monde naturel, ce serait un monde strictement anthropomorphe, artificiel et ridicule. Si les pingouins doivent mourir, je le déplore. Mais les dinosaures aussi sont morts. Même si des savants tentent – autre folie – ou tenteront de leur rendre vie. Si l’on rendait la vie à un mammouth (et j’assure les mammouths aussi de ma plus vive et entière sympathie), ce ne serait plus des mammouths. Ce serait des mammouths qui mériteraient qu’on les définisse, au choix: artificiels, pas naturels, anti-naturels, contre nature.
Toute la comédie du spectacle de ces jours-ci permet de faire à peu près les mêmes constatations. Ce qui règne partout est le chaos. Les derniers événements en date aux Etats-Unis le prouvent amplement. Voilà un pays où les règles électorales – celles des « grands électeurs » – sont complètement absurdes. Ce qui ne veut d’ailleurs pas dire que d’autres règles, en vigueur dans d’autres pays occidentaux, ne le soient pas aussi, d’une autre façon. Mais restons, aujourd’hui, aux Etats-Unis. Où la victoire de Biden a été écrasante en termes de millions de voix, tandis qu’il aurait suffi d’un infime pourcentage de voix, dans certains Etats, pour que Trump gagne.
Le chaos s’est accentué à la suite de l’intrusion, au Congrès, de quelques dizaines voire centaines de manifestants dont on se demande comment ils ont fait, apparemment désarmés qu’ils étaient, pour arriver là où ils sont arrivés (il a bien fallu que quelqu’un les y aide) mais dont, surtout, ladite intrusion ne servait strictement à rien: puisque les résultats officiels du vote ne se trouvaient évidemment pas exclusivement là (il en existe une multitude de doubles, sur support informatique et autres).
C’était donc une intrusion, telle qu’elle a eu lieu, totalement inutile du point de vue du politique. Sinon comme épiphanie « folklorique ».
Quand une société perd ses traditions, elle se réfugie dans le folklore. La fin des régimes politiques qui ont ou auraient pu faire l’Histoire laisse derrière eux un long sillage de folkloristes.
Stendhal, parlant des auteurs qui remplissent leurs livres de notes en bas de page, remarquait : « Cela accroche les sots, les benêts, les gens qui ne comprennent pas le texte. »
Dans l’Histoire, les sots et les benêts se raccrochent à la lettre de mondes morts, dont ils ne sont plus capables (à de rarissimes exceptions, et ceux-là sont voués à la solitude) d’incarner l’esprit. D’où le folklore des néo-tout ce que vous voulez. Ce sont tous des pitres de cirque.
En Italie, où plein de gens n’ont jamais lu ou compris Pinocchio (je parle de l’Italie contemporaine), on a ouvert un parc d’attractions Pinocchio. A Florence, la tombe de Carlo Lorenzini, l’auteur de Pinocchio, n’est pas accessible au public. La chapelle de sa famille est fermée et sert de dépôt aux jardiniers du cimetière. Pourtant, dans la ville de Florence, jusqu’à l’an dernier, des millions de touristes achetaient une statuette de Pinocchio, même s’ils n’ont jamais lu le livre ou ne savent, de Pinocchio, que les crétineries issues des films de Disney.
Autre exemple? En Bretagne, en 2020, où les rares enfants qui naissent encore naissent (exactement comme partout ailleurs) avec un ordinateur dans leur berceau, on vend des Bécassine. On peut facilement hypothiser, je pense, que plus on vend des Bécassine et moins on parle breton.
Le folklorisme, qui se gargarise de traditionalisme, n’est pas la continuation de la tradition. Tout traditionalisme est la négation de toute tradition. Le folklorisme est l’acte de décès d’une tradition. Le folklorisme est le pire ennemi de la tradition.
C’est ce que l’on a vu aussi lors de la « manifestation » pro-Trump, ou présumée telle, au Congrès. Cette manifestation, telle qu’elle a été menée et par qui elle a été menée (quand je vois la dégaine des manifestants pro-Trump, je n’en ferais certes pas mes amis intimes, et pas davantage quand je vois les manifestants pro Biden-Harris), cette manifestation n’avait pas la moindre chance d’aboutir à quoi que ce soit, sinon à renforcer l’union des adversaires de Trump (et à leur permettre d’édicter de nouvelles lois technologiques et liberticides de surveillance des masses).
Cette manifestation, au mieux, a été pour Trump, un baroud d’honneur. Le dernier acte d’une tragédie. Le passage, ici aussi, qui va coïncider entre le « monde d’avant » et le « monde d’après ». La disparition de Trump. Lequel, dans une dizaine de jours tout au plus, sera écrasé sous les poursuites judiciaires, viré du parti républicain (ou de ce qu’il en reste) et qui, dans quatre ans et pour une raison ou l’autre, soit à la suite de condamnations, soit à cause de son âge, soit tout simplement pour absence d’investiture, ne pourra jamais plus être candidat. Exit donc Trump (ex-membre du parti démocrate, puis président républicain) de la scène. Même si, et au fond c’était son vrai but, c’est sans doute lui qui restera dans l’Histoire.
Trump aura marqué – et ce n’est pas rien – une dernière frontière entre ce qui n’avait plus beaucoup de chances d’être appelé l’Histoire et ce qui a toutes les chances de s’avérer un Folklorisme généralisé. Trump aura donné ses lettres de noblesse, si je puis dire, au folklorisme. Il en aura authentifié la généralisation.
Folklorisme auquel personne, ou presque, n’échappera plus. Blancs, noirs, hommes, femmes, vieux, jeunes, droite, gauche, même folklorisme et même société du spectacle. Après quatre ans de folklorisme trumpien, folklorisme sympathique par certains aspects, et qui ne pourrait plus échapper à son propre folklorisme que par une sortie de scène tragique, on aura quatre ans du folklorisme voulu et orchestré par le binôme Biden-Harris. Obama bis. Ce sera encore moins gai. Un tristissime folklorisme que l’on évitera de décrire d’avance, tant c’est facile. Au moins, Trump était quelque peu imprévisible.
Les humains devraient comprendre quelque chose, mais il est vrai que si les humains avaient jamais compris quoi que ce soit, on n’en serait pas là où on est. Et voilà tout ce qu’il y aurait à comprendre: les mammouths sous le permafrost n’ont pas plus d’avenir que les humains. Les pingouins, sur leurs icebergs à moitié refroidis et à moitié réchauffés, ce sont les humains. Les pingouins n’ont demandé à personne d’être artificiellement réchauffés ou refroidis. Les humains, en revanche, s’artificialisent eux-mêmes. Avec délectation. Ils s’artificialisent, se vident et se chatrent intellectuellement et spirituellement. Ils se folklorisent.
Qu’ils croient béatement à la grande presse, ou qu’ils croient béatement à tout ce que racontent les « réseaux sociaux » (cette entité que les journalistes appellent « le Web » et qui n’est jamais que la réunion des opinions de millions d’ignorants et d’incultes), c’est bonnet blanc et blanc bonnet, le monde s’enfonce dans une bêtise terrifiante. Double bêtise, bêtise spéculaire, bêtise binaire.
La plupart des gens que je connais, et quelque chose me fait supposer qu’il s’agit d’une constante chez l’être humain, pensent que si A dit ou déclare ceci, alors soit c’est A qui a raison, soit c’est B qui dit le contraire de A. Pour les imbéciles, on a inventé il y a déjà très longtemps le bien et le mal, la vérité et le mensonge et autres choses de cette espèce. Les imbéciles en ont fait large usage. Le patron de l’OMS dit qu’il n’y pas de vaccin contre la pauvreté, le chômage, etc. Je n’en sais trop rien. Mais j’ai une certitude, il n’y a pas de vacin contre la superstition, le conformisme et la médiocrité.
Mes rares amis écrivains (je parle de vrais écrivains, pas de tant de guignols qui s’affublent de ce titre) le savent, la vie n’est pas binaire.
J’ai raconté ce qui suit dans un ou deux de mes livres. Dans les années 1980, dans les rédactions parisiennes, je disais que X était un con. Je disais aussi que Y était un con.
De fins esprits venaient me voir et me faisaient la morale: « Tu es un sale hypocrite, tu as dit à C que A était un con. Et tu as dit à C que B était un con« .
Mes moralisateurs étaient de fins esprits. Et dire qu’ils publiaient chaque jour ou chaque semaine, ou chaque mois, dans la presse, leurs « pensées » à l’intention du grand public…
Naturellement, ma sincérité était parfaite, totale, absolue et plénière: à mon avis, A et B étaient deux cons. Et le troisième con, c’était C. Je le lui disais, pour ne pas être encore accusé d’hypocrisie. Généralement, j’écrivais ou corrigeais les articles de A, B et C… Cela ne m’a pas fait que des amis. Braves gens…
Et vous pouvez remplacer A et B par (presque) tout ce qui s’oppose ou feint de s’opposer.
La triste vérité est que l’on est passé – depuis un certain temps, voire un temps certain – de l’humain à la panfolklorisation de l’humain. Trump, par son côté maverick, comme aime à dire Roland Jaccard, ou iconoclaste (par exemple en allant jouer au golf alors que le monde entier attendait qu’il avoue sa défaite) essayait sans doute de rendre un peu d’humanité à l’humain. Il a échoué. Pas forcément par sa faute. Il ne pouvait qu’échouer. Il y a trop longtemps que l’humanité est folklorisée. Jusqu’au trognon.
Tout ce qui se passe, dorénavant, manque totalement d’âme. On a l’impression qu’il ne s’agit plus vraiment d’êtres humains habités par des idéaux, mais d’hologrammes manipulés par des algorithmes. Trump, avec toutes ses outrances, avait encore des côtés humains. On ne le lui pardonnera pas.
Hier encore, le folklore ne faisait qu’un avec la civilisation populaire. C’était un folklore supérieur et vivant. Il n’y avait pas de césure entre le folklore oral et les traditions, les usages, les coutumes que relatait ce folklore.
Tous les folkloristes d’aujourd’hui, les folkloristes politiques, les folkloristes pseudo-écrivains, et cetera (à propos, et pas «excetera » – sic – comme cause l’occidental moderne illettré), démontrent une seule chose, à savoir que dans un monde en ruines, il ne peut même plus y avoir de folklore. Il reste un cadavre rigide et glacial de folklorisation. Le grand conformisme de la presse, le grand conformisme des complotistes. L’ensemble cristallisant et folklorisant la médiocrité la plus large possible, la plus universelle possible.
Propos dans le désert…
Si vous aimez, vous pourriez lire mon prochain livre Encore une gorgée de soleil. Sortie imminente. Mais dont le tirage risque d’être limité. A vous de voir!
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